Du plaisir au bonheur

Dissimuler sa nature profonde ne rime plus à rien.

Néanmoins, tabous et idées reçues prédominent encore dans le paysage audiovisuel.

La sexualité lesbienne est à la fois complète et complexe, en voici la preuve.

Samedi 2 avril 6 02 /04 /Avr 08:23

2 - Passation de pouvoir

 

La troupe de Leone représentait l’élite de l’armée des Amazones. Combattantes choisies pour leurs aptitudes à l’effort, elles cultivaient l’art du déplacement silencieux, excellaient à communiquer par signe, ne craignaient aucun adversaire au corps à corps, et savaient se fondre dans n’importe quel décor. Bien des hommes s’enfuyaient à la vue de ces guerrières entraînées sans relâche.

Trente Amazones de la garde personnelle de la princesse, formées par Leone à la guerre d’embuscade, abandonnèrent leur armure clinquante pour une tunique et des jambières de lin sombres. Puis, sous le regard intéressé de Zenia, elles se noircirent le visage et les bras de charbon de bois tiré du feu. Aucune forfanterie dans leur attitude à l’approche de la confrontation, ni de peur irraisonnée, les visages reflétaient une froide détermination.

Thalestris salua chacune d’une œillade complice ou d’une parole d’encouragement, et le groupe disparut dans la pénombre en direction du sous-bois où se jouait la survie d’une innocente. La princesse resta un moment immobile, les yeux tournés vers un péril qu’une future reine ne pouvait partager avec ses guerrières dont sa tendre Amapola se revendiquait désormais. La jeune femme timide en d’autres circonstances révélait un caractère à toute épreuve dans l’accomplissement de sa tâche.

La main tremblante de Zenia, mue par un juvénile besoin de confiance, se glissa dans celle de Dariane.

– Que les dieux leur soient favorables, gémit-elle inquiète.

– Aucune divinité n’interviendra cette nuit, répondit sans ciller son amie. Les Amazones protègent les jeunes filles depuis des générations, elles accompliront leur devoir. En accord ou non avec nos convictions, les dieux n’oseront pas s’interposer.

– Ils ont peur de nous voir monter à l’assaut de l’Olympe, railla Thalestris dédaigneuse, ma mère l’est en a déjà menacés.

 

Adossée au tronc rugueux d’un chêne massif, parfaitement invisible de nuit dans le petit sous-bois, Cybèle perçut la vibration au sol d’une foulée désordonnée avant de distinguer le halètement particulier, puis de discerner une forme dans la pénombre. La jeune fille au bord de l’évanouissement trottinait davantage qu’elle ne courait, le pas traînant, incapable de se tenir droite, victime d’un poing de côté.

– Chut ! murmura l’Amazone en ceinturant sa protégée. Je suis venue te sauver.

Attentive à chacun des bruits trahissant une approche dans leur direction, la guerrière laissa l’adolescente reprendre son souffle avant de l’entraîner hors du sentier. Il lui fallait se mettre en marche et rejoindre la lisière au plus tôt afin d’assurer la pleine sécurité de la petite dont les frissons peinaient à s’espacer.

Un peu plus loin, des hommes inconscients du danger révélaient leurs positions par des cris et des rires. Les poursuivants certainement avinés s’étaient séparés afin de ne laisser aucune chance à leur proie de s’échapper à l’exemple de Zenia ; la chasse allait leur rester autrement en travers de la gorge cette nuit.

– Donne-moi la main, ordonna Cybèle d’une voix qu’elle eut souhaité moins tranchante, ne la lâche pas.

La guerrière au petit trot prit soin de piétiner les hautes fougères dangereuses pour les jambes dénudées de l’adolescente, dont les doigts s’incrustèrent dans sa paume. Elle ignora leurs traces laissées dans la végétation touffue du sous-bois, aucun des traqueurs n’allait témoigner de l’histoire. Certains rires s’évanouissaient déjà dans la nuit humide, remplacés par des hurlements de terreur.

La frondaison bruissant dans une brise légère laissa vite la place à un ciel étoilé. Cybèle mima par trois fois le hululement du hibou ; les guerrières près du feu visible à moins de deux cents pas, averties d’une approche, bandèrent leurs arcs afin de contrer toute menace à venir dans le dos des arrivantes.

– Vous êtes les Amazones ? s’ébahit la jeune fille face à la troupe rassemblée.

– Oui, la rassura Cybèle, tu n’as plus rien à craindre. Nous allons te ramener chez toi. Comment te nommes-tu ?

L’adolescente fondit en larmes sans raison apparente.

 

Les autres de la garde de Thalestris rejoignent le camp, un prisonnier ficelé avec soin dans leur sillage. Aucun cri de victoire ne les accueillit, les sanglots lourds des deux jeunes filles rythmaient les préparatifs du départ.

– Quelle est la raison de ces lamentations ? demanda Amapola surprise de leur réaction. Elles ne versent pas des larmes de joie.

– Après la fuite de Zenia, siffla la princesse amère, ce pourceau a exécuté de sa main les parents de la pauvre enfant, et il a tué la famille de la seconde pour la dissuader de tenter sa chance. Tu le surveilleras, qu’il parvienne vivant à Thémiscyra. Une mort rapide serait une délivrance trop douce pour ses crimes.

La guerrière considéra l’homme richement vêtu à l’origine de l’odieuse pratique, celui-ci surprit le regard haineux.

– Je prendrai soin de notre nouvel hôte, princesse. Il saura en arrivant aux portes de la belle cité blanche le destin qui le guette. Et ne pense pas amadouer tes gardiennes par des promesses d’or ou des poèmes, insista-t-elle à l’intention du prisonnier, elles seraient trop heureuses de te castrer.

 

La cité blanche, ainsi nommée Thémiscyra, accueillit la troupe victorieuse deux jours plus tard. Le prince de Tiras mené à une cage dans le quartier des captifs bâti hors du mur d’enceinte, la reine prit Thalestris par le bras.

– Quelle réponse peut-on attendre de la cité des loups ? s’inquiéta-t-elle. Une guerre à l’aube de ton couronnement aurait de fâcheuses conséquences.

– Aucune, mère. Nous avons pris soin de faire disparaître les corps de nos adversaires, rien ne peut nous relier à cet évènement. De plus, les jeunes filles sont revenues avec nous, elles ne parleront pas de ce qui s’est passé.

Rassurée, Philippis se laissa distraire un instant par le joyeux brouhaha à la porte de la cité. Les Amazones œuvraient selon leurs compétences, ramenant les montures de la troupe dans l’enclos ou remisant les armes à l’entrepôt.

– Tu devrais inviter Amapola à se joindre à nous pour le repas de ce soir, lança la reine avec désinvolture après avoir remarqué les regards langoureux entre la jeune femme et la princesse, cela lui fera plaisir.

 

Philippis, un sourire d’encouragement aux lèvres, s’effaça devant sa fille à l’instant de pénétrer dans la grande salle du conseil. Les voix des Amazones occupées aux affaires du royaume allaient bientôt résonner pas dans le palais de pierre blanche extraite des carrières locales par les captifs sous bonne garde.

L’édifice avait été pensé puis bâti dans l’unique dessein de servir le peuple, non d’y abriter la famille royale qui vivait dans une simple habitation à quelques pas de là. Une des deux pièces principales, la salle du conseil aux murs nus, était meublée de cèdre, bois prisé pour éloigner les insectes. Les chaises au dossier incurvé d’inspiration grecque offraient une position confortable autour de la grande table sur laquelle les conseillères œuvraient aux affaires de la nation. Toute forme de protocole était ici inutile, le respect seul faisait force de loi.

La seconde, la salle de réception destinée aux délégations des cités voisines, semblait à peine plus chichement parée avec des klinés recouvertes de coussins et des tables basses de marbre blanc local. La reine n’avait nul besoin d’un trône pour y asseoir son autorité. De grandes tentures colorées sur les murs relataient les exploits des mythiques guerrières ; le visiteur gardait ainsi à l’esprit d’éviter toute réaction inconsidérée susceptible d’entraîner une guerre.

Le reste du palais divisé en une demi-douzaine de pièces simples servait à entreposer le trésor pris à l’ennemi, les plans des édifices publics, et d’autres biens collectifs de la nation des femmes libres.

– Je n’ai rien à te rappeler, Thalestris, tu sais à quoi t’engage ton serment. Te voici reine d’un peuple peu commun dont le nom aura valeur de symbole dans l’avenir. Désormais, c’est à toi que reviennent les nuits sans sommeil, mon enfant.

– Vous ne souhaitez pas tenir un dernier conseil, mère ?

Philippis lissa le lacet de cuir qui maintenait sa longue chevelure brune en place, elle avait déjà délaissé le fin anneau doré, unique emblème de l’autorité. Les pas des premières conseillères résonnèrent sur le sol de marbre.

– J’y assisterai, mais à toi de prendre les décisions.

 

– Quelles nouvelles de Tiras ? demanda Thalestris, calme, assise en bout de table. Le roi Calchas est certainement inquiet de la disparition de son fils.

Danaé, responsable de l’armée devant le conseil, prit le temps de penser au titre de celle qu’elle nommait encore princesse la veille.

– Il l’est, ma reine, ses troupes cherchent Laërte dans toutes les directions. Nous aurons bientôt la visite de ses émissaires.

– Nous devons maintenant savoir si les actes du prince sont de son fait, ou si la chasse aux vierges est une pratique établie par Calchas.

– Quelques espionnes pourront nous renseigner, avança Danaé impénétrable comme à son habitude, je fais donner des ordres.

– Notre action dépendra de leurs rapports. S’il le faut, nous éliminerons la caste royale en préservant le peuple, et je placerai une Amazone originaire de Tiras sur le trône.

Presque en retrait, Philippis approuva en silence la première décision de sa fille, sage et ferme. Les peuples dans la grande majorité aspiraient à vivre dans la paix, leur faire payer les exactions des rois et des princes était inutile.

– Néphélie, j’ai remarqué l’absence de quelques enfants à l’école. C’est inadmissible, aucune de nos filles ne doit être privée de l’enseignement.

– Je sais, ma reine, se lamenta la responsable de l’éducation fataliste, mais leurs mères trouvent toujours de bonnes excuses.

L’instruction dans les mondes connus de l’époque, basée sur le développement du corps dans un intérêt guerrier et l’éveil de l’intellect encadré avec soin, obéissait à des règles strictes. Les faibles et les malades ne pouvaient prétendre au système éducatif, les filles s’en trouvaient totalement exclues. Partout, même dans les civilisations les plus avancées de Grèce ou d’Egypte, la phallocratie était inculquée comme une loi universelle non écrite, transmise par les précepteurs de génération en génération.

– Tu n’es accusée de rien, coupa Thalestris avec compréhension face à la déconvenue de l’Amazone, je te demande d’y remédier au plus vite. L’instruction de nos générations à venir est un pouvoir redoutable que nous devons partager sous peine de l’affaiblir. Nous en reparlerons au prochain conseil. D’ici là, réfléchis à la situation.

Les opprimées de tous les royaumes trouvaient refuge à Thémiscyra, certaines venaient de mondes inconnus afin d’échapper à un sort funeste ; mener des femmes d’origines et de mœurs aussi dissemblables à un idéal commun relevait de la gageure. La jeune reine prit une profonde inspiration.

– Nous ne sommes pas des hommes, mes amies, nous ne le serons jamais. L’honneur est un mot qu’ils se jettent à la face, dont la plupart ignorent le sens profond. Ne commettons pas leurs erreurs, ou la nation amazone sera condamnée à disparaître. Quand le monde aura vieilli, quand les dieux et les déesses de notre temps seront tombés dans l’oubli, l’attitude des hommes à l’égard des femmes dépendra de l’empreinte que nous aurons laissée dans les mémoires.

Philippis dissimula son émotion dans un sourire convenu, une reine venait de naître en la personne de sa fille.

 

Les portes de Thémiscyra s’ouvrirent sur une cavalière solitaire chevauchant un destrier harnaché d’un caparaçon de lin blanc, singulière apparition vêtue d’une armure si légère qu’elle en paraissait fragile sous l’insolente clarté lunaire. Thalestris, d’un effleurement des talons, fit avancer sa monture d’un pas retenu au centre de la haie d’honneur formée par les guerrières en armes. La foule massée dans la vaste plaine du Thermodon scanda le nom de sa nouvelle souveraine dans la nuit rendue flamboyante par des milliers de torches.

 Celles aux premiers rangs n’eurent aucun mal à discerner l’émotion gravée sur les traits de Thalestris ; certaines ne purent retenir des larmes de nostalgie à l’évocation du souvenir de la petite jouant dans les rues animées de la cité, de la jeune fille devenue une guerrière émérite à force de sacrifices, de leur princesse dont elles se sentaient si fières. Thalestris avait su glaner au fil des saisons amour et respect.

Une voix stridente s’éleva soudain, aussitôt de la foule jaillit le reconnaissable cri de guerre des Amazones auquel s’ajouta le choc des javelots contre les boucliers de la haie d’honneur. Le vacarme devint assourdissant, comme nulle présente n’avait pu en percevoir auparavant, et la reine chevaucha à bride abattue vers sa destinée.

Les divinités réunies sur le mont Olympe observèrent de leurs yeux ébahis le fabuleux spectacle de ces cent mille femmes affirmant leur détermination à la face du monde. Il en fut de ces dieux certains enthousiastes, d’autres à la limite de l’admiration, peu cependant eurent la prescience de mesurer les répercussions de cet avènement à travers les temps à venir, ni la redoutable puissance réveillée en la personne de Thalestris.

Dans l’histoire de l’humanité qui restait à écrire, celle qui s’encombre peu des mythes et des légendes du passé, les Amazones sauraient faire entendre leurs voix. Le cri de guerre retentirait encore et encore, jusqu’à ce que les hommes acceptent enfin les femmes comme leurs égales.

 

L’élan de sa monture brisé net à une dizaine de pas de l’autel de bois décoré de fleurs blanches, Thalestris mit pied à terre. L’ovale doux du visage, les sourcils presque épais, le profond regard de biche en harmonie avec les cheveux sombres dont les pointes tombaient sur les épaules, le petit nez parsemé de légères taches de son, les joues pleines et la bouche en cœur, Amapola lui apparut d’une surprenante sérénité. Le silence se fit dans la foule.

Les jeunes femmes, épaule contre épaule, s’avancèrent jusqu’à l’autel derrière lequel la reine mère s’efforçait au calme. La notion d’un peuple privé d’hommes avait certainement poussé Lysippé, la première reine, à unir deux de ses Amazones selon le précepte d’Héra, déesse du mariage. Il lui revenait cette nuit d’offrir sa propre fille à une femme. Ce choix les auraient menées en d’autres lieux à périr sous les pierres de l’intransigeance, mais ici, à Thémiscyra, la puissance des sentiments suffisait à justifier l’union de deux êtres.

Amapola, dont la sincérité ne pouvait être mise en doute, soutiendrait Thalestris dans les nombreuses épreuves inhérentes à son rôle de reine. Celle-ci, entourée d’une affection peu commune, saurait se consacrer pleinement à sa tâche, rien ne pouvait davantage réjouir une mère que de savoir son enfant en de bonnes mains. Ainsi, Philippis quitterait Thémiscyra l’esprit en paix, certaine du devoir accompli.

– Mes Amazones, vous avez exprimé le souhait d’unir votre destinée sous la protection d’Héra, déesse de la femme et du mariage, nulle ici ne s’y oppose. Ce serment de fidélité et de respect vous engage l’une envers l’autre, aussi envers toute notre communauté. En êtes-vous conscientes ?

Les promises acquiescèrent d’une même voix étranglée par l’émotion. La simplicité de la cérémonie s’était imposée à l’esprit de la prêtresse, quelques paroles profondes valaient de longues palabres. Philippis embrassa les jeunes femmes sur le front puis leur tendit un gobelet de vin.

– Ce moment représente beaucoup pour notre peuple, s’émut-elle en les enlaçant dans un élan maternel, aussi pour moi, mais plus encore pour vous. Votre engagement a valeur de symbole, honorez-le. Soyez heureuses et fières, les Amazones veilleront désormais sur votre bonheur.

Thalestris détacha le fin lacet de cuir autour des cheveux d’Amapola et lui ceignit la tête d’un anneau d’or. Quand les épousées chevauchèrent enlacées la monture au centre de la haie d’honneur, la foule laissa de nouveau exprimer sa joie.

 

Aphrodite, dissimulée sous l’apparence d’une guerrière dans la multitude bruyante du peuple en liesse, observa la scène avec un vif intérêt. Le serment de Thalestris en faisait à vingt-trois ans la plus jeune des reines amazones. Il lui revenait dorénavant de défendre les opprimées, d’assurer la prospérité de la cité, et de relever les défis à venir. De son ardeur à sauver les femmes dépendrait l’avenir des mortels.

– Une nuit parfaite pour un sacre, n’est-ce pas ? murmura une voix rieuse à l’oreille de la déesse. Thémiscyra ressemble aux Champs Élysées.

Aphrodite reconnut aussitôt la légèreté de sa demi-sœur Artémis, divinité de la chasse et des jeunes filles, surnommée la vierge farouche à cause de son aversion pour les hommes et le mariage.

– Les joies sont éphémères, geignit Aphrodite. Ne guide pas Thalestris sur la mauvaise voie, le monde pourrait ne jamais s’en relever.

– Tu oses parler de choix douteux après avoir convaincu les reines amazones d’ouvrir les portes de leur cité aux hommes, s’étonna Artémis. Regarde où les ont menées tes bons sentiments ; les mâles se sont empressés de rétablir leurs odieuses pratiques, et de réduire une fois encore les femmes en esclavage. Sois tranquille, ma sœur, je laisse Thalestris à tes soins. Ma présence est due aux festivités et à une jeune fille dont le désarroi m’a émue, son cri est parvenu sur l’Olympe par delà les monts, les plaines et les mers.

– Les Amazones doivent apprendre à vaincre ailleurs que sur les champs de bataille. Quant à Zenia, elle se remettra.

– La disparition de sa famille par la main criminelle d’un prince abusif de son pouvoir l’a poussée à demander mon aide. Je ne puis ignorer son appel.

Le sourire léger de la déesse des jeunes filles disparut sous la voûte céleste étoilée. Son rejet des hommes se nourrissait de la cruauté de ces derniers.

– L’inciter à prendre les armes ne sera peut-être pas aider cette pauvre petite, soupira Aphrodite acerbe. La vengeance n’apporte aucun réconfort.

– C’est vrai, soupira de désolation Artémis, mais sa rage est telle qu’aucun message d’amour ne parviendrait à apaiser son âme meurtrie. Je répondrai aux attentes de Zenia ; au moins, cette pauvre enfant ne sera pas tentée par le pouvoir de divinités assoiffées de sang. La guerre est laide, j’en conviens. Mais en cette époque difficile, rien d’autre ne permet de préserver l’avenir des mortels. Tant qu’un homme tentera d’imposer sa vision du monde par la force des armes, des fous seront tentés de le suivre. N’en déplaise à la déesse de la beauté et de l’amour, le sang coulera encore longtemps sur cette terre. Peut-être devrions-nous effacer notre existence de leur mémoire.

Les deux demi-sœurs filles de Zeus, chacune enfermée dans sa logique, se concentrèrent un instant sur le passage du cortège royal.

– Tu voudrais que les dieux disparaissent ? s’insurgea Aphrodite entre peine et colère.

– Et pourquoi non ? ricana la vierge farouche désabusée. Enlevons ainsi aux mortels la volonté de se détruire en notre nom, tous les prétextes sont bons à leurs guerres insensées, inutile d’y ajouter notre ego démesuré.

 

Un petit vent du sud réchauffait l’air saturé du parfum des azalées ; de loin parvenaient aux épousées les clameurs de la fête en leur honneur. Les armures abandonnées sur la rive, dans l’eau jusqu’à mi-cuisse, elles avaient profité d’un spectacle de danse afin de fausser compagnie à leurs invitées.

Thalestris, heureuse de l’initiative dont Amapola d’une touchante naïveté faisait preuve, tremblante d’un émoi difficile à contenir, laissa les mains fébriles la libérer de sa tunique blanche de lin.

– Les préparatifs du sacre m’ont tenue éloignée de toi depuis notre retour de Tiras, mon aimée, susurra Amapola mystifiée. Je ne saurais davantage contenir mon désir.

Thalestris attira sans mot dire sa compagne sur la berge, la dénuda, puis s’allongea dans l’herbe tendre, insensible à l’humide froideur de la terre en bordure du Thermodon. Leur absence sans doute remarquée, elles avaient encore trop peu de temps à se consacrer, mais l’appel de la volupté se faisait fort.

 

Amapola s’agenouilla près de sa compagne. Thalestris frissonna du contact de la main sur sa joue, là où le rituel amoureux commençait toujours, par une caresse sucrée. Puis les doigts fins s’égaraient sur le lobe d’une oreille, dans le cou, s’attardaient à l’intérieur d’un bras, sur le haut d’une hanche, le gras d’une cuisse. Alors, sans même un effleurement sur les trônes de sa féminité, son corps en entier se consumait du bonheur à venir.

Amapola mordilla le lobe de l’oreille sous les cheveux noirs en corolle, puis goûta la peau livrée à son attention, savourant le sel de la peau du cou fin à la poitrine fière. Elle enveloppa de baisers suaves un sein dont la réaction d’orgueil l’enchanta, agaçant l’autre par de savantes caresses.

– Hummm… gémit Thalestris.

Soucieuse de répondre à l’invite ainsi formulée, l’amante devenue maîtresse délaissa la poitrine et glissa un doigt dans l’intimité offerte. Un second soupir soupir ravit Amapola, avide de découvrir ce qu’elle ne connaissait pas encore de son aimée. Les effluves charnels la troublèrent, l’enivrèrent ; l’odeur particulière, loin de la ramener à la raison, l’incita à pousser son avantage.

– Je veux tout posséder de toi, gémit-elle, cherchant un assentiment dans le regard de Thalestris brûlante de fièvre.

Enfin, le nez enfoui dans la toison sombre, la prêtresse déposa un tendre baiser sur le calice. La senteur épicée flatta ses narines. À peine surprise de ne ressentir aucun dégout, la jeune femme insinua sa langue dans le sillon chaud afin d’en extirper le moindre secret. Elle déglutit le miel amer avec avidité, fière d’accomplir enfin le rituel ancestral dont les dramaturges en accordaient la genèse à la poétesse Sappho, maîtresse des jeunes filles sur son île de Lesbos.

Amapola, attentive aux moindres réactions du corps impudique livré sur l’autel de leur plaisir, laissa libre cours à une passion débordante. La vision de son amante abandonnée la charmait, son parfum l’entêtait, sa saveur l’enivrait. Rien ne lui manquait, ni le bonheur de Thalestris, ni la délectation de se savoir à l’origine de cette félicité. Certaines émotions se révélaient dans un langage qui se passait de mots.

Désireuse de donner autant que de recevoir, Thalestris repoussa sa compagne dans un sursaut malgré l’impérieux besoin de se laisser aller.

– Attends, mon aimée, éructa-t-elle fébrile. Viens.

Amapola, le regard perdu dans celui de son amante, livrée en confiance à ses caprices, se laissa guider dans un étrange enchevêtrement. Les cuisses s’entrecroisèrent avec naturel, les conques se pressèrent l’une contre l’autre. La sensation particulière les surprit dans ce face-à-face improvisé, chacune confrontée au désir de sa compagne.

Les corps incapables de résister à l’appel animal des sens s’animèrent aussitôt, mus par une volonté propre. Alors, d’une ardeur commune, les jeunes femmes lancèrent leur bassin en avant. Les souffles se firent saccadés, la chaleur du frottement entre les intimités devint brûlure, les gémissements se transformèrent en râles. Les jambes enchevêtrées, les bouches ouvertes sur des respirations haletantes, les amantes guettèrent l’inéluctable dans les yeux de leur maîtresse.

Qui d’Amapola ou de Thalestris se rendit la première n’a aucune importance. Leurs plaisirs se mêlèrent, sincères dans la pureté, apaisante béatitude des âmes davantage qu’une satisfaction charnelle, laissant les épousées à peine repues, mais superbement confiantes en leur destinée.

 

Loin de Thémiscyra à l’est, sur la terre qu’on n’appelait pas encore Iran, un roi dont le nom allait marquer les générations à venir se lamentait, comme seuls en sont capables les hommes pétris d’orgueil.

– J’ai vaincu les Mèdes, ragea Cyrus en relevant le col de son manteau pour se protéger de la morsure du froid vif, j’ai soumis l’Anatolie entière, y compris les cités grecques qui s’y étaient implantées, Babylone est à mes pieds, mes guerriers dorment aux portes de l’Egypte, alors pourquoi ai-je l’impression d’avoir une épine dans chaque pied !

Le palais de Pasargades, haut lieu de la victoire perse sur les troupes mèdes, bruissait d’une animation feutrée de jour comme de nuit. Les conseillers, au rythme des insomnies de leur souverain, veillaient à le tenir informés des nouvelles de l’empire.

– Personne n’ose s’opposer aux Amazones de Thémiscyra, soupira Oroitès, le satrape de Sardes, pressant le pas derrière son roi dans le jardin du palais. Leur influence est telle que des épouses nobles n’hésitent pas à abandonner fortune et famille pour se placer sous la protection de ces maudites guerrières. Certains craignent de voir s’éteindre leur dynastie sans espoir de renaissance.

– Et qu’en est-il de la reine Tomyris ? s’empressa Cyrus agacé. Celle-ci a déjà ouvert sa couche à un homme, et le royaume des Massagètes est à portée de main. Une fois soumise, elle saura convaincre la grande guerrière d’Anatolie de me prendre pour époux, alors la gloire des Amazones appartiendra au passé.

Le roi des rois, ainsi qu’il se plaisait à être nommé, leva une dernière fois le regard au ciel étoilé sur le magnifique jardin fleuri, puis franchit le seuil du palais de marbre blanc. Une servante se précipita le regard bas, en attente du lourd manteau de laine de son maître. Ce dernier échangea volontiers le vêtement contre un bol de vin chaud à l’écorce d’orange, la boisson amère vivifiait son esprit lors des longues nuits de veille.

– Elle s’obstine à rejeter votre offre, signifia sobrement Gabaru-Gaubaruva, satrape des territoires de l’ancienne Babylone. J’ai personnellement tenté de la convaincre…

Un geste de la main priva le conseiller de s’expliquer. Cyrus considéra son bol vide un court instant, et le posa délicatement sur la table de chêne ; lancer par dépit un objet contre un mur était indigne de son rang.

– Je n’ai que faire d’excuses, pauvre ami. Épouser Tomyris aurait permis de m’aliéner pacifiquement le territoire des Massagètes en laissant mes troupes concentrées à l’est. Mais puisque cette reine refuse de devenir mon épouse, je la soumettrai à mon bon vouloir par la force. L’un de vous a-t-il une idée, ou n’êtes-vous bon qu’à soulever des impôts ?

Rarement tous les satrapes étaient convoqués ensemble à Pasargades, loin de leurs fiefs respectifs ; la guerre justifiait cette assemblée.

– Je suis Cyrus, déclama ce dernier dans un éclat grandiloquent de fureur dont il abusait à la moindre opportunité, le roi des rois, le roi des quatre points cardinaux. Je ne permettrai jamais à des femmes, fussent-elles des Amazones, de contrarier mon pouvoir. Les noms de Tomyris et de Philippis seront effacés des tablettes.

– Il se dit que cette dernière laisse le trône à sa fille Thalestris, reprit Oroitès prudent, une guerrière redoutable, d’une surprenante beauté de surcroît.

Le satrape de Sarde préférait ne pas jouer sa tête en laissant dans l’ignorance d’un fait déjà répandu en Anatolie son souverain dont les colères faisaient frémir.

– La terre se gorge depuis toujours du sang de guerriers redoutables, gronda Cyrus, cela la rend plus fertile. Néanmoins, tu connais ma générosité, cette Thalestris aura le choix de devenir une de mes épouses ou de mourir.

 

La rougeur d’Amapola au retour de son escapade face aux regards suspicieux prêtait les convives à sourire. Philippis lui accorda une tendre accolade.

– Allons mon enfant, te voici le front ceint de l’anneau d’or, tu n’as pas à appréhender les jugements.

Puis la reine mère, dont l’incomparable science de la narration n’était plus à démontrer, reprit le fil de son histoire pour le plus grand bonheur de la tablée. Elle narra l’histoire de Lysippé, la première reine amazone, celle d’Harpalyce qui excellait à la course et étendit son pouvoir sur la Thrace, celle d’Hippolyté dont la ceinture d’or fut arrachée par Hercule lors de son neuvième travail, celle de Penthésilée tuée par Achille devant Troie assiégée, ou encore celle d’Orithye qui attaqua Athènes afin de libérer sa compagne Antiope enlevée par le grec Thésée, et mourut lors d’un assaut.

– Il y a une leçon à tirer de ces histoires, acheva Philippis à l’attention particulière de sa fille, toutes les Amazones qui se sont alliées aux hommes, ou leur ont fait confiance, ont eu à le regretter, et ont connu des fins tragiques. Dire qu’ils sont tous mauvais serait exagéré ; néanmoins, un homme ne peut être à la fois bon et avide de pouvoir. Il nous appartient de rétablir l’équilibre partout menacé, ou nos filles connaîtront une vie d’esclave. Aucune de nous ne verra la fin de ce combat, et nos noms seront oubliés car l’histoire des temps jadis est écrite par les hommes, mais la guerre des Amazones restera une réalité aux yeux des mortels pour les générations à venir.

Les festivités s’éternisèrent jusqu’à l’aube dans la plaine du Thermodon, bercée par les chants et noyée dans les effluves de vin fin.

 

Dans la mythologie grecque, les Enfers (royaume des morts) sont divisés en deux : les Champs Élysées où les vertueux reçoivent la récompense de leur mérite, et le Tartare où les indignes expient leurs fautes.

Sardes était la capitale de la région administrative de l’empire perse qui s’étendait de la côte de la mer Égée à la Phrygie et au royaume du Pont, aussi soumis à la domination.

Par Orchidée
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Samedi 2 avril 6 02 /04 /Avr 08:22

1 - Le poids de l’héritage

 

Léone, entraînée à suivre les pistes du gibier comme celles des mortels, fouilla chaque buisson avec soin. Après avoir installé les Amazones de garde à leur poste, son instinct l’avait menée dans une petite déclivité rocailleuse parsemée d’une austère végétation de chardons et d’épineux. La petite brise de nord ouest répandait les effluves de la mer Noire, nommée en ces temps anciens mer Scythique, par-delà les monts de Tiras. Lui parvenait au loin la rumeur de la colonne occupée à installer le campement ou à se débarrasser de la poussière dans les eaux tièdes du fleuve Thermodon. Un mouvement furtif attira l’attention de la guerrière.

– N’aie pas peur, prévint-elle en avançant lentement. Tu es seule dans ce coin perdu ?

Les baies sauvages dont le jus rouge maculait son menton glissèrent des mains moites de la jeune fille surprise, son front bombé sous la sombre tignasse drue se plissa d’une ride d’anxiété, sa tunique en lambeaux peinait à dissimuler un corps tremblant. Elle détailla l’étrange apparition d’un regard fiévreux.

– Tu n’as rien à craindre, répéta Léone. Es-tu blessée ? Tu dois avoir soif.

– Vous êtes de celles qu’on nomme les Amazones ? se risqua l’adolescente poussée par l’instinctif besoin d’accorder à nouveau sa confiance. Je vous cherche depuis longtemps.

– Tu nous as trouvées, ta quête est achevée. Comment te nommes-tu ?

Un vertige saisit la jeune fille qui se laissa tomber aux pieds de la guerrière.

 

Les hautes flammes du feu de camp dansèrent un moment devant son regard vide, et l’adolescente prit conscience de la situation. Quelques femmes conversaient sans éclats de voix, d’autres dormaient enroulées dans d’épaisses couvertures de laine. Une surprenante quiétude se dégageait du décor, comme une rassurante impression de puissance. Un sursaut projeta la jeune fille sur ses pieds ; elle s’étonna de se trouver vêtue d’une courte tunique de lin propre, ses longs cheveux lavés puis coiffés, les inconnues l’avaient soignée pendant son sommeil.

– Qui êtes-vous ?

– Celles que tu cherches, répondit Thalestris avec gentillesse, les Amazones. Viens près du feu, tu auras de la viande et des fruits. Puis tu nous conteras ton histoire.

Incapable de résister à l’offrande d’un repas, l’adolescente tituba jusqu’à un rondin de chêne et prit place au milieu de la vingtaine de regards tournés dans sa direction.

– Mâche lentement, conseilla Léone en lui offrant un peu de lapin rôti à la braise. Comment te nommes-tu ?

– Zenia, je marche depuis quatre jours dans l’espoir de ne pas être rattrapée.

Malgré le désir de savoir, les Amazones laissèrent à leur protégée le temps de combler un estomac vide ; son jeûne remontait de toute évidence à l’origine de sa fuite.

– Je viens de Tiras la cité des loups, continua la jeune fille repue quelques instants plus tard. J’ai échappé aux chasseurs du fils de notre maître. Une vierge est enlevée à sa famille le premier soir de chaque nouvelle lune, ces démons la poursuivent jusqu’à sa capture. Le guerrier le plus méritant se voit récompensé d’or, alors le fils du maître déflore la vierge. J’étais cette proie.

Le murmure se mua en grondement de colère autour du feu. Ces femmes conservaient une haine farouche de leur ancienne infortune ; les Amazones avaient appris à transformer cette rancœur en force implacable dans leur nouvelle existence.

– Dormons, conseilla Thalestris. Nous réfléchirons mieux à la manière de dresser les loups de Tiras l’esprit clair. Zenia, tu es dorénavant sous notre protection.

 

La colonne s’étira vers le sud au petit matin. Assise près de la guerrière qui menait le chariot de vivres, l’adolescente se retourna sur son ancien monde un instant. Puis, les yeux embués, elle se résolut à regarder de l’avant. Les Amazones chevauchaient en colonne par quatre, à l’image de la troupe régulière d’un royaume. Même de loin, vêtues de leur armure légère de ce métal peu connu appelé fer, les mythiques guerrières ne ressemblaient en rien aux armées des hommes. Sans aucun doute cette singularité d’apparence incita d’éventuels adversaires à une réserve prudente.

– Est-ce là votre armée, interrogea Zenia afin de tromper la lenteur de la chevauchée, celle dont les rois et les princes ont peur ?

Dariane se remémora les trois années de sa vie d’esclave à la cour de Cyrus le grand, le premier roi perse, son évasion avec deux compagnes d’infortune, la fuite à travers la grande steppe de Colchide qu’on n’appelait pas encore la Géorgie, la rencontre avec des Amazones de passage à la frontière anatolienne, le réconfort de pouvoir à nouveau croire en l’avenir.

– Non, ma jeune amie. Les deux cents que tu vois forment une simple patrouille, notre armée compte vingt mille guerrières.

– Autant ! s’exclama Zenia ébahie.

– Oui, toutefois, près de cents mille Amazones vivent en harmonie à Thémiscyra sous l’autorité de la reine Philippis, et chacune décide de son rôle dans notre société. Alors nous ne sommes pas si nombreuses à porter les armes.

En ces temps reculés, nombre de seigneurs proclamés roi régnaient sur quelques pierres autour de leur demeure. La taille de l’armée reflétait la richesse, à chaque cité d’entretenir la sienne puis de la mettre au service d’un souverain, qui en servait souvent lui-même un autre selon le principe d’allégeance au plus fort.

– Vous saurez punir ceux qui nous font du mal ? implora Zenia dans un soupir.

– Sois tranquille, la rassura Dariane, les loups ont mordu une dernière fois à Tiras. La proie suivante leur restera en travers de la gorge.

Ballottée sur le siège rembourré du lourd chariot, l’adolescente se laissa bercer par la promesse de la guerrière.

 

Philippis se remémora l’histoire de ses ancêtres : la longue errance de Lysippé jusqu’au territoire promis par Aphrodite, les chevauchées des premières Amazones, l’édification de la grande cité blanche de Thémiscyra sur la rive du Thermodon, les femmes délivrées par milliers du méprisable joug des hommes. Six siècles auparavant, avant la chute de Troie, les guerrières avaient fait trembler les souverains de l’ancien monde, de la lointaine Grèce à l’Égypte magnifique en passant par la riche Assyrie. Même le puissant Zeus, angoissé par la volonté de Lysippé, avait interdit aux divinités de soutenir les hommes dans leur lutte contre les Amazones.

– Tout était plus simple à l’époque, déplora la reine d’une moue dédaigneuse. J’aurais aimé connaître l’insouciance de la première génération.

Personne ne lui répondit. Sa fille Thalestris en patrouille, Philippis sourit de parler seule à haute voix. Elle promena un regard las dans la salle de réception de son logis meublée de klinés, canapés de bois noir recouverts de coussins, et de quelques chaises autour d’une table en bois de cèdre. Seul luxe de la pièce principale, une broderie colorée rappelait le prodigieux combat entre Lysippé et son époux Pamphile, le meilleur glaive de la Grèce d’alors. La victoire de l’Amazone effraya en son temps les dieux sur le mont Olympe.

Philippis soupira à l’évocation du fait d’armes entré dans la légende six cents ans avant son accession au trône de Thémiscyra. Des civilisations étaient nées au cours de cette période, d’autres avaient disparu. De guerres d’hégémonie en conquêtes, les mondes se déchiraient. L’espoir, privilège des fous, laissait souvent un goût saumâtre.

Les cavaliers nomades cimmériens avaient disparu sans même laisser une trace de leur existence, exterminés par les guerriers Scythes, eux-mêmes vaincus par la terrifiante armée perse. Celle-ci repoussait chaque jour désormais les frontières de son influence. Quelques colonies grecques s’élevaient le long du littoral de la mer Égée à la mer Noire, l’apport de nouvelles connaissances justifiait le pillage des ressources naturelles.

Cependant, les mortels refusaient de tirer les leçons du passé. Les envahisseurs de toutes origines faisaient valoir d’excellentes raisons à leurs actes. Des lois succédaient aux lois, des divinités remplaçaient d’autres dieux. Cimmérien, Scythe, Perse ou Grec, le vainqueur imposait sa conception de l’avenir aux peuples désabusés, contraints d’offrir leur labeur à des rois dont ils ne voulaient pas, mais que la raison des armes avait mis en place.

Une autre coutume avilissante et meurtrière perdurait dans les anciens mondes comme dans les nouveaux : la maltraitance des femmes. Épouses ou concubines, filles ou mères, les pauvres étaient souvent condamnées de par leur naissance à une vie de servitude, et ne possédaient qu’une simple valeur marchande. Alors les Amazones avaient bâti d’autres cités, refuges pour les infortunées, et la guerre continuait.

Ici ou là, en dépit des allégations des soi-disant philosophes de toutes origines chargés d’écrire l’histoire de leur temps, certains reconnaissaient les femmes comme leurs égales. Ceux-là ne pouvaient émettre d’avis public sans provoquer la colère de la majorité.

 

– Montre-toi, Aphrodite ! ordonna la reine soudain lucide d’une présence invisible dans la grande pièce. Je ne supporte pas d’être espionnée.

Le courant d’air se matérialisa aussitôt devant une fenêtre entrebâillée. La belle femme aux longs cheveux roux mima la surprise face au regard sévère de l’Amazone.

– J’ai devancé ton désir de me parler, ironisa la déesse, aussi ne te méprends pas sur la courtoisie de ma visite.

– Peu importe, souffla Philippis désabusée, la main tendue vers un gobelet de vin fin aromatisé au miel. Tes conseils ne m’intéressent pas, je souhaite te prévenir d’une décision sans appel.

Aphrodite, consciente de la force de caractère de sa protégée, dissimula son impatience derrière un masque d’indifférence et la laissa étancher sa soif. La dernière reine amazone se moquait des désirs des dieux. Elle alliait la pertinence à la folie, se permettant des choix intrépides, relevait les défis les plus improbables, et se riait des pires difficultés ; rien ni personne ne parvenait à l’arrêter.

– Je rapporterai tes paroles sur l’Olympe, concéda Aphrodite. Zeus respectera une fois encore ta décision.

Contre toute attente, Philippis détourna le regard comme un enfant pris en faute. Jamais encore elle n’avait ressenti un tel manque de confiance, au point de douter de la justesse de son choix.

– Tu devras désormais visiter ma fille afin de soutenir ses choix politiques. Thalestris possède d’immenses qualités, elle ne te décevra pas.

– Que veux-tu dire ? balbutia la déesse de l’amour heurtée par le sous-entendu.

 

– Il parait que vous violez les hommes et tuez vos enfants mâles, osa Zenia d’un ton chevrotant. Mais je ne crois pas à ces légendes.

– Ah non ? s’amusa Dariane sans quitter la piste des yeux. Les filles de Thémiscyra ont toutes un géniteur ; pourtant, aucun homme ne partage notre existence. Comment cela est-il possible ?

En pleine réflexion, la jeune fille se laissa un instant absorber par le vert tendre d’une forêt caduque non loin du grand fleuve Thermodon serpentant dans une herbe grasse. De hautes murailles blanches, repérables de loin sur l’autre rive, prévenaient les voyageurs, ici se trouvait le domaine des Amazones guerrières.

– Je l’ignore, reconnut Zenia avide de connaissance.

– Tu as raison, ma jeune amie. Nous accueillons des reproducteurs dans une maison aux portes de notre belle cité. Sont choisis ceux qui ne montrent aucune agressivité envers les femmes. Les enfants mâles dès leur septième année sont placés dans une école qui leur est réservée, où ils reçoivent une éducation excluant l’apprentissage des arts de la guerre. Ils quittent la cité à l’âge de quinze ans pour vivre leur vie d’adulte.

Le soupir de l’adolescente se perdit dans la brise rafraîchissante sous le soleil au zénith. Après deux jours de chevauchée au calme sur la banquette du chariot, la nature curieuse de son caractère prenait le pas sur la timidité. Sa mimique amusa Dariane.

– Tu pourras vivre dans ma demeure à Thémiscyra jusqu’à ce qu’on te ramène chez toi à la prochaine lune. Je te montrerai notre monde et tu me parleras du tien.

– Ma présence ne dérangera pas ton épouse ?

– Encore une légende grotesque, pouffa l’Amazone. Notre loi autorise l’union de deux femmes mais ne l’oblige pas, la vérité seule des sentiments incite à de telles célébrations. Et certaines quittent notre cité pour rejoindre le monde des hommes.

Zenia, heureuse de la décision, s’accrocha au bras de la guerrière. La plupart des jeunes filles de son âge étaient livrées de force à un époux choisi par leur père, aussi la bonté de l’Amazone à son égard calmait certaines inquiétudes.

 

Le retour de la patrouille peu avant le coucher du soleil ce soir-là offrit à Zenia un spectacle inattendu. La grande plaine s’étalait à perte de vue dans le pourpre crépusculaire, coupée en son centre par les eaux calmes du fleuve. Sur sa rive est, la grande cité dressait son imposante silhouette singulière. Des guerrières se hâtèrent hors du fortin à la rencontre de la colonne. Á une centaine de pas, les gardes sur les hauts murs de Thémiscyra saluèrent de la main les arrivantes.

Troublée par la blancheur des habitations, la jeune fille se laissa guider. Les caravaniers disaient vrai, la même pierre utilisée à l’édification des bâtiments donnait une impression de démesure. De nombreuses femmes sur le pas de leur porte devisaient entre voisines, des fillettes occupées à leurs jeux insouciants papillonnaient dans les larges rues pavées. La capitale des Amazones, d’une étonnante propreté, respirait la joie de vivre.

– C’est merveilleux ! s’extasia la jeune fille à haute voix. Comment est-ce possible ? La pierre de Tiras est réservée à la noblesse et à la caste des marchands.

– Pas ici, remarqua Dariane avec fierté, l’édification de Thémiscyra répond au désir d’égalité entre toutes. Le logement et la nourriture sont des biens communs.

Zenia savoura les paroles de la guerrière un instant, happée par un spectacle comme elle n’en avait jamais vu. Le bois remplaçait désormais le torchis, mais le peuple de Tiras vivait encore souvent en famille dans une pièce unique.

– Toutes vos habitations possèdent plusieurs salles ?

– Elles sont bâties selon un plan commun, alors oui. Mais je répondrai à tes questions demain, nous sommes conviées à dîner chez la reine.

 

Désorientée depuis son arrivée autant par l’architecture de la cité que par la générosité de ses hôtesses, la jeune fille tenta de taire sa soif de connaissance.

– Détends-toi, mon enfant, sourit Philippis. L’hospitalité dans ma maison est un plaisir, non un devoir.

Zenia dévisagea la femme dont le pouvoir égalait celui des plus redoutables divinités. Les mères de tous les mondes connus d’est en ouest narraient à leurs filles les exploits des Amazones des anciens temps et des nouveaux.

La reine, comme toutes les guerrières, arborait la courte tunique de lin tressé réservée aux hommes, serrée à la taille par une fine ceinture. Unique marque de son rang, un anneau doré ceignait sa longue chevelure brune en lieu et place de l’habituel lacet de cuir. Malgré une évidente simplicité, une réelle puissance émanait de sa personne.

– Ma fille m’a rapporté tes malheurs, prévint Philippis avec gravité. N’aie crainte, le prince de Tiras s’acquittera bientôt du prix de ses méfaits. Mangeons maintenant, j’ai veillé à la cuisson de cet agneau trop longtemps pour ne pas le savourer.

La moue stupéfaite de l’adolescente provoqua les rires des trois guerrières.

– Aucune Amazone n’a de privilège à se faire servir, s’amusa Thalestris, personne ne possède de servantes à Thémiscyra. Nos seuls esclaves sont les hommes capturés dans les combats, ils œuvrent à la construction de la cité.

– Rassure-toi, répliqua Dariane avant de tendre à Zenia un gobelet de vin coupé d’eau claire, notre reine prépare la viande comme personne. Parle-nous plutôt du sinistre rituel de Tiras, connais-tu d’autres victimes de ce prince maudit ?

– Aucune, murmura l’adolescente d’une voix éraillée par l’émotion. Elles disparaissent, leurs familles ne les revoient jamais.

La bonne humeur déserta les esprits. Zenia ne comprit pas la portée de ses révélations, moins encore les répercussions sur son avenir.

 

– Vous semblez soucieuse, mère, s’inquiéta Thalestris. Ce tourment viendrait-il des paroles de Zenia hier soir ?

Philippis repoussa son gobelet d’eau puis posa la joue sur la table, le regard sombre rivé à celui de sa fille. La flagrance des fleurs sauvages fraîchement coupées vivifia son esprit.

– J’imaginais l’insouciance de nos ancêtres. La première reine des Amazones offrit aux femmes le désir de s’épanouir dans un monde affranchi de toute considération de fortune. Au-delà du concept d’un peuple libéré du joug des hommes, l’égalité assurait la cohésion, l’entraide était prônée comme la première des vertus. Aujourd’hui la jalousie a remplacé la bonté. Je suis lasse de voir nos guerrières agir en marchandes tandis que des malheureuses meurent sous les coups de ceux censés les protéger aux portes de notre cité.

– Certaines oublient les affres de l’existence hors de ces murs, mais beaucoup en en sont lucides. Peut-être les préceptrices à l’école devraient insister sur le sort réservé aux femmes loin de notre protection. Nous pouvons imposer aux jeunes filles de patrouiller avant de se prévaloir du titre d’Amazone, la réalité marquerait leurs esprits.

L’argumentation rassura Philippis. Elle pouvait assumer son choix en toute quiétude, la nation amazone avait, en la personne de sa fille unique, une reine capable de la guider dans sa destinée peu commune, une souveraine à l’esprit vif et au jugement sûr.

– Ma décision est prise, Thalestris, je te laisserai le trône après l’expédition sur Tiras.

La princesse abasourdie sursauta sur la kliné. Ses grands yeux s’ouvrirent sous l’effet de la surprise, l’éclat bruni de son teint s’estompa.

– Je suis trop jeune. Notre peuple a besoin de votre sagesse, et moi de votre expérience. Vous ne pouvez pas nous abandonner ainsi.

Philippis s’adossa au dossier de son siège, empreinte d’une étrange sérénité.

– Ma très chère fille, tempéra-t-elle d’une voix douce, tu es meilleure guerrière que je ne le serai jamais, ton autorité est reconnue, et je n’ai plus rien à t’apprendre en politique. Ton accession au trône satisfera nos Amazones. Ce n’est pas un abandon, mais je n’ai plus l’esprit à ma tâche. Le moment est venu de me retirer, de quitter notre belle Thémiscyra.

– Pour aller où ? Qui garantira votre sécurité hors de ces murs ? Des femmes battues et violées trouvent refuge en notre monde, les hommes nous craignent, comment une reine amazone goûterait-elle à la paix loin de sa cité ?

Consciente de la justesse des paroles de sa fille, Philippis se releva, prit Thalestris par le bras, puis l’amena dans la rue baignée par la lumière crue de l’après-midi ensoleillé, l’été ne voulait pas mourir. Sans un regard sur le grand palais situé près de leur demeure, elle déambula vers les portes de la cité d’un pas lent. Les discussions cessèrent dans les étals des commerçantes au passage de la reine et de la princesse, les bruits s’estompèrent dans les échoppes des artisanes.

 

Une fillette d’une huitaine d’années négligea les amphores dont elle avait la charge pour se jeter au cou de Thalestris. D’entêtants effluves de vin se dégageaient de sa tunique à la blancheur douteuse.

– Que fais-tu là, toi ? réprimanda la princesse sans sévérité excessive. Tu devrais être à l’école, non dans la rue.

La petite joua un instant avec ses longs cheveux châtains, puis se câlina contre la joue chaude de son amie.

– Je nettoie les amphores avec de la paille tandis que ma mère est au pressoir. On va se promener à cheval ?

– Pas aujourd’hui, sourit la princesse, ta mère t’a confié une tâche.

L’arrivée subite d’une femme d’une trentaine d’années mit un terme à la discussion. Le fin nez droit sous un front bombé trahissait les origines scythes de Maïa malgré la petitesse de sa taille, le teint hâlé dénonçait une existence passée au grand air.

– Je vous prie d’excuser Delphéa, ma reine, souffla-t-elle hors d’haleine.

Thalestris reposa l’enfant que sa mère congédia avec une certaine déférence.

– Tu n’as donc rien compris ? réprimanda Philippis. Seule l’éducation affranchira les femmes. La place de ta fille est à l’école, non dans la rue à nettoyer des amphores. La main d’œuvre ne manque pas à Thémiscyra, des réfugiées désirent s’intégrer à la communauté, inutile de recourir au labeur des enfants.

– Je devrai rétribuer leur ouvrage, ma reine, et vendre mon vin plus cher.

– L’épaisseur de ta bourse est-elle plus importante que le bien-être de ta fille ? rugit la princesse choquée. Il n’y a pas à transiger, Delphéa retournera à l’école dès demain.

L’Amazone dépitée baissa la tête, puis regarda s’éloigner les dépositaires de l’autorité.

– Vous disiez vrai, mère, gronda Thalestris, certaines ont perdu nos valeurs. Il est temps de remettre de l’ordre.

– Tu as toute ma confiance, souffla Philippis à l’instant de passer sous le mur d’enceinte au niveau de la grande porte. Je signifierai ma décision demain au conseil, tu deviendras reine selon nos lois.

Des guerrières à l’extérieur s’entraînaient au maniement du glaive, du javelot ou de la hache bipenne appelée labrys, d’autres au tir à l’arc, les charges imaginaires de la cavalerie dessinaient des cercles imparfaits dans l’herbe de la prairie. La grande armée amazone à l’exercice donnait une impressionnante impression d’invulnérabilité.

– C’est ici, concéda la reine avec nostalgie en pointant du doigt à une centaine de pas la maison des reproducteurs, que j’ai connu ton géniteur. Concevoir un enfant était ma seule intention ; pourtant, je reconnais être tombée sous le charme.

Thalestris, émue de la confidence, prit la main de sa mère dans la sienne. L’homme exclu de la filiation, une Amazone ne parlait jamais du père à sa fille.

– Il m’arrive de visiter cet homme bon dans sa ferme non loin à l’ouest. Je souhaite finir ma vie avec lui, mais je ne commettrai pas l’erreur de mes congénères.

D’autres reines avaient accepté d’ouvrir leur cité aux hommes par amour de l’un d’eux. Les Amazones perdirent alors ce qu’aucun adversaire ne leur avait enlevé à la bataille : la liberté. Philippis refusait de sacrifier l’indépendance de son peuple à un désir personnel, elle quitterait Thémiscyra pour vivre avec l’homme de son choix.

– Je garderai le secret sur la raison de votre départ, mère, assura Thalestris d’une voix trahie par l’émotion.

– C’est mieux ainsi, ta sagesse m’honore.

– Cet homme a de la chance, peut-être en est-il conscient. Je vous souhaite le bonheur à son côté.

 

Personne n’osa juguler un certain flottement dans les jours suivant la déclaration de la reine. Elle passa son temps à errer dans la cité, émue des marques d’affection à son égard. Vingt-six années de règne avaient permis de tisser des liens puissants avec de nombreuses Amazones sans jamais abuser de son pouvoir.

– Vous leur manquerez, mère, remarqua Thalestris au retour d’une promenade dans le quartier des écoles. Plusieurs de nos jeunes filles ne comprennent pas votre décision.

– Le temps arrangera cela, sourit Philippis débordante de confiance. J’avais ton âge à mon accession au trône, mais la mort de ma mère au combat n’a pas facilité la transition. Les anciennes se souviennent de ces jours pénibles.

Le regard de la princesse s’obscurcit à l’évocation de cet instant tragique. Elle engagea le pas sur la droite à l’angle d’une maison commune dans laquelle les Amazones confiaient leurs enfants en bas âge avant de vaquer à leurs occupations quotidiennes.

– J’espère ne pas vous décevoir, murmura-t-elle d’une voix étranglée par le doute.

– Reste intransigeante sur trois points, continua la reine, et ton autorité sera préservée. Les enfants mâles doivent quitter la cité dès l’âge de quinze ans, l’égalité au sein de notre peuple est primordiale, et il ne saurait y avoir de compromis avec les dieux. Ces principes affirment notre indépendance. Pour les affaires courantes, n’hésite pas à mettre aux voix tes décisions lors des conseils, tu satisferas le plus grand nombre.

 

Mère et fille pénétrèrent dans la salle de réception de leur logis situé à une trentaine de pas du palais. Thalestris raviva le foyer au fond de la pièce principale. La princesse, à l’orée de sa vingt-troisième année, se préparait à la fonction suprême sans rien perdre de sa pondération ; ses incertitudes s’exprimaient dans le cercle familial.

Le cheveu sombre ceint d’un anneau doré, de grands yeux noirs dans l’ovale doux du visage, les pommettes colorées, le fin nez droit, le menton volontaire sous une bouche fine aux lèvres ourlées, la beauté de Thalestris attisait bien des convoitises. De nombreux rois cherchaient à unir leur fils à la princesse, dans une intention avouée ou non.

Philippis, consciente de perdre dans un très proche avenir le privilège de sa compagnie, donc de ses confidences, posa un regard indulgent sur sa fille.

– Je n’ai pas attendu le désir d’avoir un enfant pour visiter la maison des reproducteurs, souleva-t-elle non sans ironie. La satisfaction de certains désirs dans un respect mutuel n’est pas un mal.

– Mère ! s’indigna Thalestris. L’intimité de ces choses vous aurait-elle échappé ?

– Non, mon enfant. Je désire être rassurée sur ton épanouissement personnel.

– Alors tranquillisez-vous, sourit la princesse émue de l’attention, je vous donnerai une petite-fille le moment venu. La solitude ne sera pas mon destin.

Le regard de Philippis s’éclaira de nouveau, sa fille venait d’éluder la question avec le tact d’une reine.

 

– Qui a fait naître l’idée un peuple de femmes ? demanda Zenia, attachée au pas de sa protectrice à la découverte du monde des Amazones.

– En des temps anciens, commença Dariane le regard plongé dans la brume matinale sur le fleuve, la déesse de l’amour visita en rêve Lysippé, princesse d’une lointaine cité. Hadès menaçait de lâcher ses troupes des enfers sur le monde des mortels. Or Zeus interdit aux dieux de l’Olympe de prendre part à la guerre qui se préparait. Il consentit cependant à sa fille Aphrodite de conseiller Lysippé. Celle-ci quitta sa terre natale avec ses trois filles et, selon les instructions de la déesse, partit pour l’Anatolie. Chemin faisant, elle délivra de nombreuses femmes, une véritable armée la suivit bientôt. Les Amazones devinrent sous son égide de formidables guerrières.

– Elles vainquirent les cohortes d’Hadès ? osa fébrilement Zenia.

– Non, mon amie. Effrayé par la puissance de Lysippé, le dieu des Enfers renonça à son terrible dessein.

La jeune fille contempla un instant le paysage. Le soleil encore bas enluminait le fleuve de reflets argentés dans lesquels les jeunes aloses tentaient de fuir les anguilles prédatrices. La migration amènerait bientôt les survivantes à l’embouchure du Thermodon.

  Zenia soupira de bien-être. Le comportement de Dariane à son égard ressemblait à celui d’une grande sœur, capable de rire et de sérieux dans la même phrase, de l’amuser comme de la rassurer. L’Amazone âgée de vingt-deux ans n’attirait aucune attention sans son éternel sourire, séduisant ou incisif selon les circonstances. L’ingratitude des traits révélait cependant une grande âme.

– Je t’importune sans doute avec mes questions, bredouilla l’adolescente, mais où cette guerre va-t-elle vous mener ? Le père choisit l’époux de sa fille, il peut même la vendre en toute légalité à des fins de prostitution, le monde est ainsi depuis toujours.

– D’abord tu dois comprendre les principes essentiels de notre nation. Le destin des Amazones est de changer le cœur des hommes, non de les dominer. Notre cité est un asile dans lequel les infortunées sont protégées de leurs tortionnaires. Battues, violées, réduites en esclavage, elles apprennent à lutter contre le fatalisme. Fille, épouse et mère, la femme se plaît à imaginer l’homme en fils, en époux puis en père. Pourquoi cherche-t-il depuis toujours à dominer le seul être capable de l’aimer ? Personne ne répondra à cette question, j’en ai peur. Alors les Amazones devront combattre jusqu’à la reconnaissance de l’égalité de nos droits.

– La guerre s’éternisera, grimaça Zenia, les hommes ne sont pas prêts à abandonner leurs maudits privilèges.

Le regard de Dariane s’illumina, et le soleil n’y était pour rien. Elle jeta un petit caillou dans l’eau claire, le bruit attira l’attention de sa protégée.

– Observe les cercles qui s’éloignent, ma jeune amie. Nos actions les plus insignifiantes ont parfois une grande portée. Le caillou n’a pas conscience des effets de sa chute, pourtant ils sont là, bien visibles. Des paroles de la reine Lysippé sont inscrites sur les portes de nos écoles : « Semons à tous vents les graines de la révolte, Amazones, la moisson se fera un jour ou l’autre. » Maintenant viens, nous devons préparer ton retour à Tiras. Nous sommes attendues au conseil.

 

Deux jours de chevauchée avait permis à la petite troupe de s’approcher de la cité des loups de Tiras. Le campement monté dans un recoin rocailleux offrait aux Amazones un abri convenable en attendant la confrontation prévue pour le lendemain, premier soir de la nouvelle lune.

Amapola, animée d’un désir particulier et non à cause de la fraîcheur relative, se blottit dans les bras de Thalestris sous la couverture. Les jeunes femmes s’isolaient d’habitude, par respect pour leurs congénères, afin de bénéficier d’une certaine intimité ; cependant, la présence de l’ennemi de l’autre côté du sous-bois obligeait les guerrières à rester groupées. Cela n’avait guère d’importance, les unions rarement décidées en raison des sentiments, les Amazones s’estimaient chanceuses de pouvoir choisir qui aimer au grand jour, aucune ne leur tiendrait rigueur de laisser libre cours à leur passion.

Oubliant la promiscuité, Amapola prit la bouche de son aimée avec conviction. Elle avait à la fois envie et besoin de sa présence physique. Thalestris savoura la langue contre la sienne sans se poser de question. La fille fragile libérée de l’esclavage quatre ans plus tôt devenait une femme volontaire, capable d’imposer ses volontés, et cela lui plaisait.

– J’ai envie de toi, susurra une voix rauque à son oreille.

Jusqu’alors, la princesse n’avait ressenti qu’un vague plaisir sous les doigts malhabiles de son amante trop timide pour se laisser aller. Elle ne s’en offusquait aucunement, tendre et patiente, savourant chaque effort comme une victoire. Aussi, la hardiesse d’Amapola la combla avant même le premier geste.

Cette dernière se coula sous la couverture. Elle aurait voulu contempler ce corps adoré, épier ses réactions, assister en spectatrice privilégiée au phénomène surnaturel de la lente montée du plaisir, mais la présence des autres allait l’en priver ce soir. Tant pis, seul le bonheur de Thalestris avait une quelconque importance.

La jeune femme saisit à pleines mains la poitrine de son aimée. Sans les voir, elle savait les seins ronds, fermes, tendus et orgueilleux sous ses caresses. La peau douce frémit au contact de sa bouche, un téton trépida sous sa langue.

La princesse se pinça les lèvres de surprise. La tempérance habituelle faisait place à une délicieuse audace. Sa compagne honorait sa poitrine avec une envie nouvelle, une science innée. Même la main à plat sur son ventre se faisait plus voluptueuse que de coutume. Un désir fort naquit dans ses entrailles.

Incapable de respirer correctement, Amapola surgit de sous la couverture. L’attente de son amante lui apparut dans toute sa splendeur à la clarté de la lune. Sa main glissa sur le ventre et massa la saillie sous la toison douce. Elle accorda un regard impertinent à sa compagne, puis reprit sa bouche avec une ardeur décuplée.

À la douce brûlure d’une présence sur sa fente, Thalestris projeta son bassin en avant, sa conque s’ouvrit d’elle-même. Un premier soupir se perdit dans la fougue du baiser accordé à cette intention. Deux doigts d’une sensuelle impertinence s’insinuèrent dans son intimité trempée de désir.

Amapola savoura sa hardiesse, regrettant de ne pouvoir aller plus loin au milieu des autres. L’abandon de son aimée sous sa caresse particulière tintait dans sa poitrine comme le plus beau des compliments. Les hoquets étouffés dans sa bouche prouvaient la justesse de ses gestes accomplis pour la première fois. Son pouce dénicha la petite excroissance en haut de la fente livrée à ses caprices.

Thalestris gesticula jusqu’à interrompre leur baiser, et se mordit la main. Tout allait trop vite. Le sang par saccades se répandait dans ses veines, comme le souffle furieux du volcan entretenait une coulée de lave impossible à retenir. Elle se laissa aller sans remords.

Consciente que l’attente pouvait mener à la frustration, Amapola chercha la délivrance de sa compagne. La présence des Amazones ne la gêna plus tant le besoin d’affirmer ainsi ses sentiments la galvanisait. La raideur subite du corps sous la couverture l’encouragea à pousser son avantage.

– Abandonne-toi mon amour, glissa-t-elle à l’oreille de son amante, espérant décupler son plaisir. Donne-moi ta jouissance.

Pour Thalestris, rien n’exista plus que ces doigts crochetés dans son intimité, son clitoris exacerbé par un pouce habile, la délicieuse volonté de sa tendre aimée. Se retenant avec peine de crier, elle se laissa aller à un plaisir intense, profond, d’une longueur interminable.

Amapola n’attendit même pas le retour au calme pour lui susurrer à l’oreille :

– La prochaine fois, quand nous serons seules, je te goûterai. Tu jouiras de ma bouche comme de mes doigts ce soir. Alors, tu seras toute à moi.

 

 

Thalestris veilla à l’endormissement de la jeune femme dans ses bras, l’espoir accroché à l’âme de la voir revenir saine et sauve du combat qui s’annonçait la nuit suivante.

Par Orchidée
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Mardi 11 août 2 11 /08 /Août 08:23

joy argentoMa très chère Lola,

 

Tu veux des détails sur mon premier14 juillet parisien ? J’ai de vagues souvenirs des cris d’une foule en délire, de quelques pétards dans le quartier. Le feu d’artifice a été tiré chez moi. Sandrine a répondu à mes attentes, sans doute davantage. Le sommeil nous a fauchées bien après le lever du jour, mortes de fatigue, comblées l’une et l’autre. Comment décrire un déluge de caresses et de baisers, une avalanche d’orgasmes. Je ne pensais pas qu’un tel débordement soit possible.

Le 14 en fin d’après-midi, mon amante rentrait chez elle. Le 15 ne me voyait quitter le lit que pour manger ou aller aux toilettes. Le 16, pressée de me rendre à l’agence, le maquillage s’avérait indispensable pour masquer des cernes encore visibles.

 

Je repris le cours de mon existence, l’esprit libéré, décidée à croquer la pomme sans m’occuper du reste. Le temps perdu ne peut se rattraper, ça donne envie de ne pas en gaspiller davantage. Les occasions à saisir sont nombreuses, je ne m’en prive pas.

Un appel de Viviane a retenu mon attention. Elle paraissait au téléphone si perdue et si excitée à la fois, je souhaitais lui accorder du temps. L’engagement fut pris de nous retrouver à la terrasse de la Place Verte, incontournable dans le XIème arrondissement, quartier des boîtes de production et des graphistes. Elle aurait voulu me voir à son domicile ou au mien, mais un rendez-vous pour un contrat photo restait une priorité.

 

L’arrivée de Viviane coïncida avec le réveil de mon estomac. La grande terrasse attirant du monde, je lui fis signe de me rejoindre. Une minute d’inattention, ne serait-ce que pour l’accueillir, et la table aurait été prise d’assaut. Je prenais mes marques dans la capitale, j’apprenais à jouer du coude si nécessaire.

Mon imitation préférée d’Emma Watson resta dans le flou le temps du déjeuner composé d’une salade pour moi, d’un burger pour elle, le tout arrosé d’une bouteille d’eau. Sans aucun doute la foule bruyante autour de nous la retint de s’épancher. Elle se contenta de compliments au sujet de ma nouvelle coiffure, d’évoquer la teneur du contrat signé dans la matinée.

– Tu ne veux pas qu’on aille chez toi ? plaça ma copine au moment du café.

L’émotion inhabituelle dans sa voix m’alerta. L’amitié commandait d’accepter malgré le désir de profiter du soleil. On s’enfonça sous terre pour une balade dans le métro.

 

Pénétrer dans mon immeuble se faisait avec le sourire d’habitude, la mamie au rez-de-chaussée se tenait à sa porte entrebâillée après avoir reconnu nos pas et nos rires, elle nous saluait d’un mot gentil. Pas aujourd’hui. Pourquoi un air empreint de mélancolie, de gravité, marquait son visage de rides d’expression, au point de faire passer son maigre sourire pour une grimace.

Viviane s’installa sur un tabouret, fit rouler distraitement sur le comptoir un stylo que j’avais oublié de ranger. Ses épaules voûtées portaient une misère bien lourde.

– Luc est partit pour Barcelone hier.

– C’est ce qui était prévu, non ? balançai-je en posant deux verres et une bouteille d’eau sur la table. Tu le rejoins en fin de semaine au début de tes vacances.

Maintes fois elle avait évoqué le programme, heureuse de visiter l’Espagne, de changer d’air. Et là, à l’instant de toucher son rêve, ma copine semblait aussi perdue qu’au téléphone ce matin, mais l’énervement avait disparu.

– Je ne sais pas.

Sa réponse instinctive alourdit l’air ambiant déjà chaud. Je patientai, les explications allaient suivre, conséquence logique à sa déclaration première. Les nanas prennent leur temps au lit, aussi dans une discussion sérieuse.

– Tu as autre chose à boire que de l’eau ?

Là, je tombai des nues une seconde fois en moins d’une minute.

– De la bière si tu veux (quelques unes traînaient dans le réfrigérateur pour Sandrine) ou de la vodka lemon. Du vin aussi et du whisky (un souvenir du passage de mon oncle).

– Un whisky, oui, murmura-t-elle sans me regarder.

Patiente, j’extirpai un joli verre du placard, je remplis un bol de glaçons, et posai le tout avec une bouteille de Jack Daniel’s sous son nez. L’inquiétude faisait des nœuds dans mon ventre.

 

– Une dispute entre vous ? osai-je après lui avoir laissé le temps d’avaler deux rasades d’alcool. Ce n’est peut-être rien.

– Non. En fait… je n’ai pas envie de le rejoindre… Je suis amoureuse de toi.

La catastrophe ! Car son amitié m’était précieuse, couper les ponts m’aurait fait mal. Bien sûr on prenait le risque avec Sandrine, mais c’était différent, Sandrine avait bien plus de maturité. Et puis Sarah, elle n’allait pas rester indéfiniment à New York. Pour le coup, j’éprouvai moi aussi un pathétique besoin de boire autre chose que de l’eau.

– Tu sais… j’hésitai car le « ma chérie » amical habituel risquait d’être mal interprété, je tiens à toi aussi, mais pas comme ça. Tu n’es pas lesbienne, moi si. Ça ne peut pas marcher entre nous. Et puis la fidélité, rentrer chaque soir avec la même nana, ce n’est pas mon truc. Enfin, peut-être plus tard ça le deviendra, mais je suis trop jeune pour m’engager. Tu mérites mieux. Je suis sûre que tu aimes encore ton mec. Il te manque alors tu fantasmes sur moi, demain on s’amusera de cette connerie… Dis-moi que ce n’est pas sérieux !

En temps normal, un minimum de réflexion m’aurait poussée à mettre de l’ordre dans ma tête avant de balancer ces mots à la volée, juste par réflexe défensif. Oui mais en temps normal, celle que je considérais comme ma meilleure amie ne m’annonçait pas son amour avec un air de chien battu après deux verres d’alcool. Je lui en servis un troisième tandis que je m’offrais le premier. La brûlure du malt dans ma gorge ne calma pas l’angoisse dans ma poitrine.

Amoureuse à la fois des belles lettres et d’une entière liberté de penser, Céline, Hugo, Simone de Beauvoir dont je me revendiquais de l’enseignement, comment pouvais-je en arriver à formuler des pensées bourgeoises dans un langage aussi vulgaire.

– Je ne sais pas le faire avec une fille, lança Viviane sur un ton élevé, alors tu m’apprendras. Je veux devenir une vraie lesbienne moi aussi. Et puis je ne t’empêcherai pas d’en voir d’autres, tu es libre. Avec Luc, ça ne marche plus depuis que je t’ai rencontrée. On a déjà couché ensemble, toi et moi. J’ai été nulle, mais tu me diras comment faire. Je me rattraperai, c’est promis.

Par esprit de mimétisme ou emportée par un trop plein d’émotions, la pauvre mélangeait tout, comme je l’avais fait dans ma tirade précédente. Loin de me consoler, cette démarche mettait nos faiblesses en avant, les siennes comme les miennes. Un autre verre s’imposa.

Deux personnes tombent amoureuses parfois, sans considération du sexe de chacune. Alors une histoire est possible, il suffit de faire confiance à la force des sentiments, et les corps se mettent en concordance. D’autres fois, on peut réagir au bien-être du moment, passer indifféremment de l’un à l’autre pour un plaisir purement charnel, c’est la bisexualité. Ou alors, comme moi, une femme ne peut concevoir son existence qu’avec des femmes, sur le plan sentimental et physique, refuser jusqu’à l’idée d’une éventuelle mutation.

Pourquoi une lipstick n’attire-t-elle pas les regards dans les lieux de drague lesbiens ? La peur de souffrir retient les autres femmes de s’impliquer avec des filles qui pourraient les abandonner pour un homme sans prévenir. Nous sommes soumises aussi aux lois de la nature humaine, on ne peut pas savoir si un couple va tenir sur la durée. S’engager avec une nana à l’orientation sexuelle indéterminée représente une menace supplémentaire de rupture que beaucoup préfèrent éviter.

Si Viviane avait exprimé le souhait d’un câlin, je me serais fait un malin plaisir de la déniaiser, de lui montrer l’étendue des possibilités du sexe au féminin pluriel. Mais en l’occurrence, elle ne demandait pas un aller simple pour un voyage orgasmique. Son sentiment singulier m’effrayait au point de perdre pied.

Voici ce que j’aurais voulu lui dire, une construction logique d’idées sages, une démonstration sereine et imparable, quasi mathématique, de mes arguments. Mais la spontanéité amenée par une troisième rasade de whisky joua en ma défaveur.

– Écoute, ma chérie, lui murmurai-je en l’enlaçant, le mois dernier t’étais déjà comme ça après tes règles. Oui, j’ai bonne mémoire. Mais au moins tu étais rigolote. Là, tu ne fais pas rire du tout avec ton histoire d’amour. Alors oublie ça. On va se saouler si tu veux, tu peux même dormir ici car tu n’es déjà plus en état de rentrer chez toi, et demain on se marrera comme avant.

Viviane décolla sa joue de la mienne, son regard brillant plongea dans le mien.

– D’accord.

 

L’atmosphère se détendit un peu, sans vraiment retomber dans l’insouciance habituelle. Notre audace nous poussa à finir la bouteille de whisky. Je me souviens aussi d’un vague coup d’œil à la pendule murale, des 16 heures affichées. La fin d’après-midi et la soirée sont inscrites par bribes dans ma mémoire défaillante.

On a évoqué mon plaisir grandissant à exercer le métier de mannequin, la possibilité de lancer ma carrière, des enviables retombées financières en contrepartie. On a parlé des filles aussi, puis des filles avec les filles. Je me souviens d’une question :

« Qu’est-ce que tu préfères, toi ? Qu’une nana te lèche le minou ou qu’elle te prenne avec une bite en plastique. »

Emportée par l’alcool, j’ai reconnu être mal à l’aise avec le touché vaginal. Alors une insertion, non merci. Et puis si j’avais voulu me prendre un phallus entre les cuisses, je serais devenu hétéro. Le cunni oui, le faire et en bénéficier, les caresses, les baisers partout, une langue dans ma chatte et sur mon clito. J’aime tout en fait, sauf la pénétration.

Histoire de jouer le jeu, ou de ne pas paraître trop conne, je lui retournai la question :

« Toi, avec un mec, c’est quoi ce qui te fait planer ? »

Viviane répondit qu’elle appréciait de sentir une queue (son terme) dans le vagin, la sensation d’être remplie par un corps étranger, mais qu’elle avait besoin d’une stimulation du clito pour se laisser aller à l’orgasme. Elle regrettait aussi la rapidité des préliminaires, d’être prise parfois sans aucune préparation.

On en conclut en riant que la masturbation restait un excellent moyen de jouir sans faire chier (une expression commune) personne. Dommage que ce ne soit pas top pour la tendresse.

J’enfilai ensuite un pyjama, et en prêtai un à Viviane. Ils étaient déjà grands pour moi, alors la pauvre nageait dedans, ou plutôt s’y noyait. Enfin un premier rire sincère partagé, sans équivoque, l’impression de retrouver la complicité magique de notre relation.

On se coucha l’une à côté de l’autre, sans aucun contact entre nous, et on s’endormit avant la tombée de la nuit.

 

– Merde !

Le juron étouffé me tira de ma léthargie sans rêve. Je réussis à force de tâtonnement à trouver l’interrupteur de la lampe de chevet. La scène valait le détour.

Viviane semblait tétanisée au centre de la chambre par la lumière soudaine, incapable de faire un geste comme un petit animal surpris par les phares d’une voiture sur une route de campagne la nuit. Le cheveu hirsute, le verre d’eau suspendu à ses lèvres, elle me fixait du regard, incertaine de ma réaction.

La veste trop grande du pyjama blanc baillait, l’échancrure laissait voir presque entièrement un sein tendu, l’autre restait sous le tissu. Le pan droit sur le haut de la cuisse, le gauche était soulevé dans sa main au niveau de la hanche. Le cordon mal serré sans doute, le pantalon avait glissé en un mont difforme à ses pieds. Droite sur ses jambes, elle m’offrait involontairement la vision de son bassin, de son intimité, et de ses cuisses légèrement écartées, dans une position plus comique qu’érotique.

– Pourquoi tu n’as pas allumé la lumière ?

Ma question noyée dans un rire lui rendit son sourire.

– Je ne voulais pas te réveiller… J’avais soif, balbutia ma copine sans même baisser la main, le verre semblait collé à sa bouche.  Mon pantalon a glissé d’un coup, j’ai failli me casser la gueule.

– Ne bouge pas ! ordonnai-je en m’emparant de mon téléphone portable, toujours à portée sur la table de chevet.

Sélection rapide dans le menu, le téléphone se transforma en appareil photo.

– Qu’est-ce que tu fous ? réagit Viviane dans la fraîcheur d’un rire.

– J’immortalise la scène.

Après s’être prêtée au jeu, elle se retourna en direction du comptoir. Le fait que nous soyons réveillées toutes les deux l’incitait sans doute à boire dans la cuisine avant de revenir se coucher. Le verre tendu avec précaution pour ne pas le renverser, incapable de remonter le pantalon sans prendre le risque de mettre de l’eau sur le parquet, elle s’avança à petits pas glissés sur le sol, les pieds enchevêtrés dans le tissu.

– Soulève la veste, intimai-je sur le ton d’une gamine en train de s’amuser.

Viviane s’exécuta, heureuse de se comporter aussi en adolescente attardée, et continua sa lente progression. Je m’étais levée pour la suivre, l’appareil en action, prenant photos sur photos de son petit cul ainsi balancé.

Enfin arrivée au comptoir, elle avala le contenu du verre d’une traite, le reposa puis se retourna. Ma présence à un mètre lui donna une idée.

– Tu peux photographier ça aussi, lança-t-elle dans un rire, le bassin projeté en avant. Le geste m’offrit la vision du petit triangle de poils sur son abricot lisse.

Je la voulais ainsi, chahuteuse, jeune et fraîche, libre, sans arrière-pensées. Elle comprit sans doute le message muet.

– Excuse-moi pour hier, on n’en parle plus.

 

Deux heures du matin, l’envie de dormir évaporée, le lit transformé en véritable terrain de jeux, on s’éclatait à en perdre haleine. Chacune retournait l’autre, essayait de prendre le dessus comme des gamines à la lutte, chatouillait à l’occasion ou mordillait l’adversaire. Les pyjamas cédèrent dans la confusion. Les boutons détachés, les vestes largement ouvertes, les pantalons baillaient ou glissaient sur des cuisses, au point qu’on finit par ne plus les remonter.

Alors que je venais de prendre le dessus, immobilisant ma proie, mon regard se trouva juste à la hauteur de sa poitrine. Les petits seins droits, fermes comme à l’adolescence, tendaient vers moi comme une provocation. Davantage avec l’esprit joueur que canaille, je gobai un téton, le faisant rouler sous la langue. Le rire de Viviane se transforma en soupir. J’embrassai l’autre de la même manière, heureuse de le sentir grossir dans ma bouche.

Profitant de mon ramollissement éphémère, ma copine me retourna et se retrouva sur moi. Le regard lubrique, elle me gratifia d’un sourire coquin. Notre chahut d’adolescentes se transformait sans intention préalable en jeu pour adultes, les rires s’évaporèrent.

Viviane caressa mes seins avec franchise, en maîtresse avertie, puis les embrassa. Sa bouche sur ma peau provoqua la réaction attendue, mes tétons se développèrent. Elle les aspira tour à tour, et joua de la langue sur les aréoles. J’étais aux anges.

Encouragée par cette victoire, elle glissa sur mon ventre, le couvrit d’une myriade de baisers à la tendresse savoureuse, et joua de la langue dans mon nombril. Toute envie de résistance envolée, j’attendais la suite sans impatience. Car suite il devait y avoir, la spontanéité de ses gestes en était la promesse.

Á la découverte de mon corps, Viviane s’attarda sur mon pubis, les poils n’avaient pas retrouvé leur longueur initiale mais repoussaient. Sa bouche perdue dans ma toison, le regard accroché au mien, Elle toucha ma fente d’un doigt. L’excitation psychique déclencha aussitôt mes sécrétions. Mon amante s’en aperçut sans doute, car elle me toisa d’un sourire non plus coquin, mais d’une tendresse désarmante avant de glisser son visage entre mes cuisses.

Elle écarta mes grandes lèvres et resta un moment à regarder mes chairs, hésitante. Ce n’était pas à moi de lui dire, de la forcer ou de la décourager. Je devais accepter son choix. L’attente était une délicieuse torture que j’admettais de prolonger. Si le courage lui manquait alors tant pis, je ne lui en voudrais pas.

Viviane s’enhardit, posant des baisers humides de chaque côté au niveau de l’aine. Son souffle sur ma peau me remplissait déjà de bonheur. Puis, relâchant mes pétales, elle embrassa ma fente avec délicatesse, comme un petit animal blessé. De savoir que j’étais sa première m’émoustillait. Enfin, elle osa toucher ma plaie intime de la pointe de sa langue. Elle releva son visage un court instant, me sourit comme si je venais de lui faire découvrir une saveur délicieuse. Et ce goût était le mien. Puis elle disparut de nouveau entre mes cuisses.

Sa langue s’enhardit cette fois, se fit plus pressante, sa bouche devint vorace.

Les yeux fermés, les narines pincées, je me laissai aller, une main sur mes seins et l’autre dans les cheveux de mon amante. D’un soupir d’encouragement ou d’un mot tendre, je la guidai dans mes chairs dilatées, lui indiquai la caresse de la langue ou du doigt.

Viviane continua de me lécher, de fouiller ma grotte, de me masturber jusqu’à la montée d’un plaisir décuplé par la situation. De savoir que j’étais la première à bénéficier ainsi de sa générosité donna plus d’intensité à mon orgasme. Je jouis presque sauvagement, plaquant sa tête contre moi d’une main autoritaire, pour garder sa bouche ouverte sur ma fente jusqu’à la fin.

 

Elle s’agenouilla sur le lit, retrouva son air d’adolescente ravie d’une bonne blague, et essuya ses lèvres brillantes de ma mouille sur son avant-bras.

Par Orchidée - Publié dans : Roman érotique - Communauté : Volupté féminine
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Vendredi 7 août 5 07 /08 /Août 08:33

joy argentoMa chère Lola,

Nous voici à la veille de la fête nationale, le moment est venu de faire le point après un mois et demi d’existence parisienne. Les cours à la Sorbonne commenceront début octobre. Mon dossier, enfin complet, a été validé. La présence de mon oncle Alain, venu deux jours à Paris, y a été pour beaucoup. Il s’est marré devant mes posters. Quant à la mamie, elle n’y a prêté aucune attention, je ne sais même pas si elle les a vus.

Viviane se fait pressante, mais je ne peux pas me résoudre à couper les liens. J’aime beaucoup sa présence, son humour, son style un peu déjanté. Née deux ans avant moi, elle fait davantage gamine. Paris en sa compagnie est vraiment la plus belle ville du monde.

Sandrine et moi, nous nous voyons de temps à autre. J’ai joué franc jeu en reconnaissant être à la recherche d’une relation exclusivement sexuelle, cela lui convient. Parfois, on se permet un flirt un peu poussé dans un des cafés du Marais. Inutile de dire qu’on est vite repérées.

J’ai reçu un autre coup de fil de New York. Pourquoi, dès que je pense l’oublier, Sarah veut se rappeler à mon souvenir ? C’est une torture dont je me passerais volontiers. Après son appel, un passage dans la salle de bains s’imposa. La psyché me renvoya le portrait d’une gamine aux yeux embués. Peut-être que le problème venait de là, peut-être que si je ne me comportais plus comme une gosse minaudant au téléphone, Sarah accepterait de rentrer, de me revoir. Alors notre histoire commencerait enfin.

Un appel s’imposait dans cet optique. Un timbre maintenant connu résonna dans l’écouteur au bout de quelques minutes d’attente.

– Bonjour Anaïs, comment vas-tu ? Tu veux passer pour un coup de peigne ?

– Salut Gaëlle. Je préfèrerais que tu viennes chez moi avec ton matériel et des catalogues, j’ai pris une décision.

– Bien, finit-elle par consentir après réflexion, donne-moi l’adresse. J’y serai à 16 heures.

 

Chaque employée de ce salon réputé suit ses clientes avec assiduité, et Gaëlle s’occupe de mes cheveux depuis que Sarah nous a présentées. Le coiffage est un instant privilégié, on se comporte l’une envers l’autre comme des amies. Après avoir feuilleté les catalogues devant une tasse de thé afin de choisir le modèle, je m’installai dans la salle de bains face à la psyché.

Trois heures plus tard, Gaëlle rangeait son matériel, je ne pouvais pas détacher mon regard de l’image reflétée dans le miroir. Le dégradé donnait du volume, l’effet coiffé-décoiffé apportait une touche sauvage. La coiffure ne me vieillissait pas, elle rendait cependant l’observateur incapable de me donner un âge. J’avais changé de tête.

– Et pour l’entretien ? demandai-je, prête à sacrifier du temps pour conserver cette image.

– Plus facile qu’il n’y parait, ma belle, sourit Gaëlle en déposant un vaporisateur sur l’étagère, puis en se replaçant dans mon dos. Tu travailles la masse comme ceci.

Ses doigts fins s’enfoncèrent de nouveau dans ma tignasse claire aux reflets naturels blonds.

– Je t’ai laissé un shampoing sec, c’est parfait pour sortir après le travail. Tu n’auras pas à te mouiller les cheveux et à les faire sécher.

Je la remerciai d’une bise sonore sur la joue. La note était pour l’agence. En parlant de l’agence, Marc allait avoir du travail afin de mettre mon book à jour.

 

Sandrine sur le pas de la porte se retourna longuement vers ses collègues. J’imaginai l’espiègle exagérer sa révérence à l’instant de prendre ses vacances, histoire de faire des jaloux. Enfin elle se retourna, et parcourut les quelques mètres de trottoir qui séparaient le cabinet d’assurance de la terrasse à laquelle j’étais installée.

– Salut !

Sandrine suspendit sa démarche légère pour inspecter les tables d’où l’appel semblait provenir. Son regard sur moi traduisit la stupéfaction. Était-ce parce que je l’attendais pour la première fois à la sortie du boulot ?

– Ça alors ! bredouilla-t-elle, incapable du moindre geste. Je… tu…

Son air ahuri tinta à mes oreilles comme le plus beau des compliments. Ainsi, selon toutes mes prévisions, ce changement d’aspect incitait à me regarder différemment. J’invitai d’un geste de la main Sandrine à s’asseoir près de moi. Le serveur la suivit de près.

– Une bouteille de champagne rosé, s’il vous plait, commandai-je avec spontanéité, comme si je n’accordais de valeur qu’à ce breuvage.

La somme des regards sur moi augmenta encore, et le désir d’en jouer se fit plus pressant. Une main dans le cou de mon amie, j’attirai son visage toujours empreint de stupéfaction, et posai mes lèvres sur les siennes. Sa bouche s’ouvrit par réflexe, j’en profitai pour lui offrir un baiser profond, passionné. Le tintement des coupes sur le plateau signifia le retour du garçon de café. Il patienta, éberlué, désireux de ne pas bousculer des clientes qui venaient de lui commander une bouteille facturée à 120 euros.

– Ne me dis pas que tu fais ça pour arroser mes vacances, s’amusa Sandrine en reprenant son souffle, ou je poserai souvent des congés.

– C’est une raison parmi d’autres. On va faire la fête, ce soir.

 

J’apprenais vite, le monde allait s’en apercevoir. C’est dans cette optique que j’avais défini ce que nous devions porter. Un bref passage chez Sandrine afin qu’elle se douche, j’étudiai avec soin le contenu de sa garde robe. Mon choix fait, j’ajoutai une tenue décontractée, des sous-vêtements de rechange, quelques affaires de toilettes dans un sac.

Entre les bars lesbiens du Marais et le bal des pompiers rue de Sévigné, on pouvait s’éclater à proximité de chez moi sans devoir changer de quartier. Ensuite, passer le 14 juillet au lit dans ses bras me satisfaisait. Dire que ce serait le moyen de récupérer des forces…

 

Sandrine me laissa jouer à la poupée avec son corps. Habituée ces derniers temps aux mains expertes des habilleuses professionnelles, je jubilais de changer de rôle. La pauvre se soumit sans broncher à mes caprices. Puis vint le temps de m’occuper de moi. Enfin, la grande psyché collée à la porte de la salle de bain livra son verdict.

La chemise à manches longues blanche de coton nouée sur le ventre, retroussée négligemment au niveau des coudes, un jean taille basse clair à l’effet usé, la limite entre ce qui était montré et ce qui était suggéré apparaissait flou. Sandrine me laissa arranger sa coiffure.

– Je n’ai jamais pensé à ce style, dit-elle enchantée du résultat.

Placée dans son dos, je pouvais me régaler du côté pile reflété dans la glace et profiter du côté face. Je ne m’en privai d’ailleurs pas.

– Tu as la morphologie du sablier : largeur des épaules équivalente à celle des hanches, la taille fine, c’est parfait pour toi. Le nœud de la chemise fait toute la différence. Trop haut sous les seins, ça fait étalage de viande, beurk ! Là, tu vois, il dégage juste ton nombril. Quand on a un nombril pareil, c’est un crime de le cacher. Le jean est très bien, j’aime ce bleu clair délavé. Il moule ton joli cul. Sans la ceinture, ça baille un peu sous tes reins, un appel à la luxure, ma chérie. Alors, pas de ceinture !

– C’est génial de t’écouter, s’enthousiasma mon amie en se décalant sur le côté pour saisir mon image dans la psyché. Qu’est-ce que tu as prévu pour toi ?

– Ma morphologie est en V, le triangle inversé, les hanches plus étroites. J’ai choisi ce bustier à encolure bateau et manches courtes, noir uni, je n’attache pas le second bouton, ça met mes seins en valeur. Pas de froufrous, aucun volume rajouté car je suis large d’épaules. Pour le bas, un short en jean à l’effet usé qui s’accorde au tien, tennis blanches et socquettes. Je te plais ?

Un baiser me le prouva mieux qu’un discours.

 

Ma petite Lola, mon intérêt premier avait été de séduire Sarah, mais je me découvrais à cette occasion une certaine tendance à l’exhibition. Attention, je n’en suis pas à me promener nue dans la rue ; cependant, sentir les regards, me savoir jolie et désirée amenait une véritable émotion, une excitation presque physique. À moi aussi de faire preuve de prudence, car la provocation n’est pas sans risque. Le désir et la jalousie peuvent amener des actes inconsidérés.

On passa d’abord au Nix Café. L’ambiance plutôt calme de ce début de soirée nous plaça sous le feu des projecteurs, des nanas déjà occupées à draguer ou prises dans leurs discussions auraient eu moins tendance à se retourner sur notre passage. Cathy, la serveuse qui avait tant ri au soir de notre rencontre, nous fit la bise. Sandrine et moi étions revenues ensemble plusieurs fois, on nous considérait en couple, ou pas, tant jouer sur l’ambiguïté nous amusait.

– Waouh ! Ça déchire, nous lança-t-elle dans un grand sourire.

Un cocktail offert aux arrivantes pour marquer la fête nationale, et Cathy paraissait davantage attirée par notre compagnie que par son job. La serveuse en salle, une grande brune aux cheveux courts, posa son plateau près de nous, pas seulement pour permettre à sa collègue de le remplir ou le débarrasser plus vite. Elle aussi se laissait prendre au plaisir de m’approcher.

On était bien à ce petit bout de comptoir. Les cocktails d’un côté obligeaient les entrantes à se frotter à nous, le plateau de l’autre incitait les clientes déjà installées à prendre leurs commandes au bar. Le travail des serveuses en était facilité, je me régalais des regards concupiscents. Cathy, rationnelle, se pencha à nos oreilles.

– On a une photographe pour la soirée, histoire d’immortaliser l’ambiance, je peux la coller à vos basques ?

J’acquiesçai, sans laisser le temps à Sandrine de réfléchir à la situation.

 

Mes pensées, d’habitude partagées entre Sarah et mon entrée à la Sorbonne, s’envolèrent vers des horizons nouveaux. Un physique, un boulot qui rapporte, la possibilité de m’éclater, toutes les filles de 18 ans n’avaient pas tant. La possibilité d’une revanche sur mon adolescence gâchée par l’homophobie d’une bande de pecnots, dont mes parents, m’incitait à l’excès. Et alors !

La soirée s’éternisa au Nix, le bal des pompiers à quelques rues d’ici se déroula aussi bien sans nous. Provoquer les hétéros ne nous était d’aucune utilité, faire naître un désir illusoire chez des mâles en rut nous inspirait encore moins. Deux personnes du même sexe main dans la main, ou à s’embrasser, ne provoquaient aucun remous ici. On était chez nous, entre nous, enfin dignes d’une liberté chèrement gagnée.

Bien sûr à Montmartre, la tendresse entre Viviane et moi n’avait soulevé aucun remous. Mais il aurait suffi d’une moquerie déplacée, d’une remarque obscène, d’une insulte, pour voir ressurgir l’incompréhension et la haine. Alors oui, on peut se permettre en plein jour, dans certains lieux, de se montrer telles qu’on est. Mais oser la nuit, dans un endroit grouillant de types perturbés par un taux anormal de testostérone, représentait un risque que nous ne voulions pas courir.

On rentra sagement chez moi à la fermeture.

 

J’estimai avoir assez bu ; deux coupes de champagne à la brasserie et quatre cocktails ensuite me plongeaient dans une douce euphorie, légère mais heureusement consciente. Le summum du ridicule est, pour moi, de s’éclater pour n’en conserver aucun souvenir à cause d’un trop plein d’alcool. Sandrine m’accompagna à la dégustation d’un café au son d’un morceau de Chill out en prélude à notre nuit.

Elle se déshabilla tranquillement, comme elle l’aurait fait seule chez elle, avant de s’installer sur un haut tabouret de bois au comptoir séparant le coin cuisine de la chambre proprement dite. Sans en avoir l’air, j’avais suivi l’effeuillage, l’esprit tourné vers les délices promis. Je l’imitai, et on se retrouva nues, assises côte à côte, avec ce petit brin d’étincelle dans les yeux qui exprime le désir encore sage, presque imperceptible à l’observation d’une tierce personne.

– Super soirée ! gloussa Sandrine, caressant négligemment mes cuisses fermées d’un revers de main. Tu as eu un succès fou.

– Et toi alors ! Tu crois que je n’ai rien remarqué ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit à l’oreille, la brune qui restait collée dans ton dos ?

L’épaisseur des murs nous permettait de rire, on ne s’en priva pas.

– Elle imaginait un plan à quatre avec sa copine. Tu nous vois dans une partouze lesbienne !

– Je ne sais pas, mentis-je d’un air faussement ingénu, la regard fixe sur le téton de Sandrine que je titillai d’un doigt. Et toi ?

Elle bomba le torse, le temps de mûrir une réponse. Sa main se fit pressante sur mes cuisses.

– Coucher avec une inconnue, comme nous la première fois, c’est différent. On prend le temps, il y a un cheminement intime avant de conclure. Mais se retrouver dans le même lit avec plusieurs nanas au bout d’une seule soirée, je ne pense pas.

 

Ce n’était pas la première fois, je fus pourtant surprise par la profondeur du baiser. Sandrine savait prendre ma bouche en distillant les premiers effleurements à l’intérieur de mes bras, sur mon cou, mes flancs, sans se précipiter sur les zones trop sensibles. Elle aimait faire monter une lente excitation, lire dans mes yeux la progression du désir, m’amener à la supplier.

Mes mains sur ses formes trahissaient mon impatience. Malgré mes efforts pour l’imiter, pour doser la provocation, je cédais toujours en prenant un sein dans une main, l’autre glissée sur ses fesses rondes, dans le sillon chaud les séparant. Alors son ventre se contractait contre le mien, on remontait nos cuisses pour qu’elles participent à la fête.

Sans trop s’attarder aux préliminaires cette fois, Sandrine me plaqua contre le lit, une main à plat sur ma gorge, le regard brûlant accroché au mien. Elle se pencha lentement et glissa la langue dans mon oreille.

– Tu la veux dans la chatte ?

Ma poitrine se souleva pour toute réponse. Mon amante joua au reptile sur mon corps, comme un serpent aurait reculé au lieu d’avancer, sans me quitter des yeux. Sa bouche s’attarda à peine sur mes seins, le temps de suçoter les pointes tendues, de les faire durcir encore. Une main déjà dans ma touffe, l’autre lui servant d’appui, elle continua sa progression jusqu’à descendre du lit. Reprenant ses gestes lents, elle attira mon bassin au bord de la couche, mes pieds au sol. Dans un réflexe, j’attrapai les oreillers pour les glisser sous ma nuque, désireuse de profiter du spectacle, ajouter au plaisir de recevoir celui de voir.

Agenouillée à même le parquet entre mes cuisses ouvertes, Sandrine comprima mon pubis d’une savante pression, tandis qu’elle ouvrait mes chairs de son autre main. Ses doigts jouèrent dans mon intimité, à l’exploration de ma vulve jusqu’à la zone du clitoris, par touches légères. Je n’aime pas le toucher vaginal, ma chérie l’évita avec soin, concentrée sur le vestibule. Enfin elle se pencha et enfouit sa langue dans ma grotte.

La merveilleuse sensation d’être fouillée m’arracha un premier soupir précipité. Très vite le feu se répandit dans mes entrailles, ma tête bourdonna d’une musique que moi seule pouvais entendre. Les yeux sur sa tignasse qui montait et redescendait au rythme de sa bouche, j’imaginais sa langue dans mes nymphes à la recherche de la liqueur odorante. De son application dépendait l’extase, et Sandrine s’appliqua.

Contrairement à ce que j’avais cru, à ce que mon amante souhaitait sans doute, je fus longue à venir. Comme si mon corps, heureux de l’instant particulier, refusait de se laisser aller. Variant les caresses, Sandrine pinça mon bouton entre ses lèvres, puis l’aspira, laissant ses doigts au chaud dans mes muqueuses.

La délivrance se fit brutale, longue, intense, un véritable orgasme qui m’amena à la limite de l’inconscience. Elle abandonna mon clito, sa langue retrouva la moiteur de ma grotte. Mes mains sur mes seins, la tête renversée dans les oreillers, j’ouvris la bouche sur un feulement rauque, à la recherche d’oxygène.

 

Le temps de récupérer mon souffle, Sandrine s’abandonnait à mes caprices. Je l’allongeai sur le lit et m’accroupis à côté, au niveau de son bassin. Encore haletante, j’en profitai pour l’observer entière, et suivre d’un frôlement des doigts le résultat de mon admiration. Vite, l’effleurement se fit caresses, son corps réagit. Elle gémit de bien-être.

Ma bouche entra dans la danse, je la voulais toute à moi. D’abord sur les bras, dans le cou, sur le ventre, puis des pieds à ses cuisses fermes, ma langue laissa des sillons humides sur sa peau. Je gardai le meilleur pour la fin, son nombril profond avec lequel je jouai.

N’y tenant plus, je m’appropriai ses seins larges, galbés. Leur réaction me ravit. La tête tournée afin de saisir l’expression de son regard, je m’attardai sur les tétons jusqu’à les sentir durs sous ma langue. Puis je repris ma position, la main gauche sur sa poitrine et la droite dans les poils courts de son pubis que Sandrine laissait repousser pour moi.

J’aurais voulu la maintenir ainsi en éveil, prête à toucher l’essentiel sans le faire, la grimace sur ses traits me supplia de mettre un terme au supplice. J’aidai mon amante à se relever, lui offrit un biaiser profond au passage, et m’allongeai à sa place, la tête en hauteur soutenue par les oreillers.

Sandrine comprit, et s’installa à califourchon de manière à voir mon visage. La moiteur de son sexe me donna le vertige. Ma langue aussitôt dans les nymphes, je la léchai pour notre plus grand plaisir partagé. La maintenant par les fesses, j’imprimai à son bassin le rythme du va et vient. Le buste droit, le menton sur sa gorge, elle m’observait d’un regard brillant.

Pensait-elle à la même chose que moi en cet instant, quand la confiance me poussait à lui offrir la caresse suprême, et qu’elle acceptait de poser sur ma bouche ce qu’elle avait de plus secret ? Je me délectai de sa mouille, béate de la sentir sur mes joues, mon menton, heureuse d’en avaler.

Un doigt sur son clito, j’en glissai deux de l’autre main dans son antre. Mon amante les accepta d’un soupir langoureux. Décidée à participer, elle imprima seule la profondeur de la pénétration, ses cuisses serrées autour de mon visage me privaient de bouger.

Triturée par le bouton, la vulve léchée dans ses moindres replis, prise par mes doigts, Sandrine lâcha la bride de son plaisir. Elle se déhancha jusqu’à se raidir sur mes doigts, à écarter presque violemment mon pouce de son clito, et laissa seule ma langue tirer parti de son orgasme.

 

Dans les bras l’une de l’autre, les mains déjà prêtes à une autre escale sur les peaux brillantes de nos ébats, je ne pus retenir une confidence.

– C’est beau une femme qui jouit.

– On sera belle toute la nuit, m’assura Sandrine avant de lover sa langue contre la mienne dans ma bouche affamée.

 

Notre voyage n’en était qu’à ses débuts.

Par Orchidée - Publié dans : Roman érotique - Communauté : Volupté féminine
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Jeudi 6 août 4 06 /08 /Août 06:46
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